Comment expliquer ton projet musical à ta famille quand tout est encore flou ?
Nos meilleures astuces pour que tu présentes enfin ton projet musical avec confiance aux dîners de famille!
Sommaire
Fêtes de Noël, dindes et questions existentielles
Chaque mois de décembre apporte son lot de lumières, d’odeurs de boissons chaudes, de sapins bringuebalés sous le bras… et immanquablement, de questions fatidiques autour de la table familiale, se transformant en tribunal de réussite individuelle. Là où d’autres déroulent un compte-rendu béton : la soeur promue Head of quelque-chose-qui-sonne-pas-mal, la tante fraîchement revenue de sa retraite spirituelle et l’oncle qui jure « avoir fait le buzz sur Bsmart »… l’artiste indépendant·e, de son côté, doit souvent bidouiller une narration pour expliquer son projet musical, qui n’entre pas vraiment dans le moule habituel.
Et je vois d’avance quelques visages pâlir à l’approche de certaines phrases qui tombent comme chaque année à Noël avec la régularité d’un métronome : “Alors, ça marche pour toi ?” “C’est pour quand l’Olympia ? “Et en stream, t’en es où maintenant ?” À ce stade, on devrait presque les applaudir : tenir une telle constance dans le choix des questions exige un vrai professionnalisme. Et ça s’inquiète, et ça remet subtilement en question les choix de vie, ça glisse deux-trois conseils non sollicités… Pris dans cette nébuleuse de bonnes intentions mal calibrées, la question qui se pose est donc : comment te sortir de ce bourbier et reprendre le contrôle de la situation ?
La vie d’artiste, ou l’art de d’improviser
Car oui, tu as bossé dur. Vraiment. Seulement voilà…
Comment raconter une année faite de sessions nocturnes passées à écrire-effacer-écrire-effacer-écrire-ah tiens, finalement garder quelques mots (et en fait ceux-ci deviendront peut-être l’ossature d’un morceau ?) Comment raconter les compos foutues par la fenêtre, les heures de divagation à créer des rythmes étranges avec les LFO de ton Moog Sub37, à hésiter sans fin entre une réverbe à convolution naturelle ou un truc plus trippy pour ta voix lead, pour au final revenir sur une plate indémodable ? Comment raconter les techniques que tu testes vingt fois jusqu’à sentir que c’est juste, vraiment juste ?
Comment raconter les concerts devant vingt personnes mais qui t’ont fait pleurer de joie parce qu’à ce moment, t’as senti que tu touchais quelque chose de vrai ? Comment raconter l’euphorie des premiers succès ? Comment raconter les collabs potentiellement dingues mais pour l’instant invisibles, tous les refus archivés dans ta mémoire qui crie au stockage saturé, les projets “en chantier” depuis des mois, les centaines de mémos dans ton téléphone, les exports 3.2, 3.8 et 3.8b accumulés dans ton disque dur ? Comment raconter ces erreurs qui font surgir la magie pure le temps d’une seconde – tu te rappelles ? – mais pour les provoquer il a fallu en perdre du temps, et en perdre un paquet.
Une chose est sûre, les projets prennent sens et s’épaississent, mais il n’y a souvent que toi pour le voir. Alors comment légitimer une trajectoire où rien ne semble stable, mais où tout est en train de grandir ? Et je parle de la vraie grandeur. Pas celle de certain·es artistes en Top 10 de Spotify (particulièrement juteux cette année) ni celle de Jeff Bezos, encore moins celle de Victor Wembanyama. Je parle de la grandeur intime, celle qui ne fait pas trop de bruit (pas encore…).

Crédit : Pixabay
Redéfinir la réussite quand on est artiste
Primo, changer la question : c’est quoi au juste, réussir ?
La meilleure réponse à une question est souvent une autre question. C’est bien connu. Alors je t’invite à changer de perspective, à modifier le cadrage, juste pour voir, juste pour essayer. On te dit parfois que ton activité “n’est pas une vraie carrière” ? C’est faux, objectivement faux, mais surtout symptomatique d’une vision étriquée de l’ambition. Pour beaucoup, la montée en grade se construit comme une succession de renoncements : renoncer au temps, renoncer à la spontanéité, renoncer à sa propre voix pour adopter celle d’une autre, ou pire celle d’une marque.
Toi, tu fais exactement l’inverse : tu oses désirer tout. Être artiste, c’est se confronter chaque jour à ce que l’on est vraiment, et c’est peut-être la définition la plus exigeante et la plus courageuse de la réussite personnelle. En réalité, ta version de réussir n’est pas l’avoir, mais le devenir. Un horizon un poil plus excitant quand on sait qu’on a seulement trente mille jours à vivre sur cette Terre (et encore, c’est pour l’estimation sympa de l’OMS).
Secondo, ce n’est pas la taille qui compte (non, non)
Ton progrès ne se mesure pas en promotions mais en maturation. Une année peut être décisive sans être spectaculaire. Les labels le rappellent souvent : entre la naissance d’une idée et sa mise en marché, un projet musical met en moyenne 18 à 24 mois à se structurer. Autrement dit : une année peut sembler “floue” vue de l’extérieur, alors qu’elle est essentielle du point de vue artistique. Rosalía, quand elle sort Los Ángeles en 2017, elle n’existe quasiment pas dans l’industrie.
Elle piétine, elle cherche, elle traverse le doute et elle le traverse longtemps. Bon, on peut aimer ou non ce qu’elle produit ensuite, je ne m’épancherai pas là dessus, chacun ses goûts comme on dit (et ce qu’on dit n’est pas toujours pertinent mais c’est une autre sujet), toujours est-il que je crois que l’on peut parler de réussite à ce niveau-là. Or, des Rosalía, il peut en naître partout, ça j’en suis persuadée. Le seul truc qui compte, c’est la nécessité. Celle qu’il faut accepter, toucher avec délicatesse et prendre sérieusement par la main pour ne plus jamais la lâcher.

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Autre chose : la réussite ne se mesure pas uniquement au nombre de gens qui viennent à tes concerts ou qui te suivent sur Instagram. La quantité fait rarement la valeur. Il faut simplement toucher le bon public. Et à moins de viser tout le monde – c’est à dire de manquer un peu de personnalité – c’est censé prendre un peu de temps. On en revient à la même chose : le temps-long n’est pas une option, c’est une contrainte nécessaire.
Valoriser son travail sans paraître flégon
Allier juste mesure et vérité
C’est une résolution 2026 qui est jouable, ce qui est plutôt rare dans les annales des résolutions. Mais là promis, il suffit de commencer à se faire la patte pour y prendre goût. Je t’invite donc à placer tes petits pas dans des grandes chaussettes. Dans les métiers artistiques, les “petites” victoires sont souvent les plus structurantes, et pas de bullshit là dessus : une première synchro même modeste, un live devant peu de monde mais avec un retour appuyé d’un·e programmateur·ice, une collaboration qui ouvre une porte, un soutien institutionnel, même minime, une hausse des streams sur un vieux titre, preuve d’un début d’effet catalogue…
La tentation est grande de minimiser les victoires. Au lieu de ça, il faut raconter son métier, sans jargon, mais avec précision. T’as passé du temps à composer sans sortir de nouvel EP ? Parle de recherche artistique. T’as appris de nouvelles techniques, changé de méthode, exploré de nouveaux plugins ? C’est de l’investissement professionnel. T’as passé du temps sur l’apprentissage d’un nouvel instrument ? C’est l’économie de l’attention, une denrée très rare à notre époque. Tu t’es posé mille questions sur le pourquoi tu fais ça ? C’est de l’investissement sur toi-même (à ne surtout pas négliger celui-là, en voie de disparition).
T’as envoyé des dossiers, rencontré des acteur·ices, essuyé des refus ? C’est la phase normale de prospection, c’est l’école de la démerde, celle qu’on apprend pas à l’école, et encore moins en PME. Francis, le N+3 de ta cousine, je peux te dire qu’il ne lui laisse pas beaucoup de place pour grandir autrement qu’à coups de bilan annuel.
Trouver la confiance dans l’incertitude
Je vais te dire ce qui est le plus difficile, et donc le plus valorisant : c’est d’allier singularité et fidélité à soi-même. C’est accepter ce qu’on est vraiment (c’est à dire potentiellement différent·e, louche, étonnant·e, obstiné·e, ou autre adjectif peu à la mode ces temps-ci), et essayer de l’être chaque jour un peu plus. C’est refuser le conformisme. Refuser qu’un autre décide pour toi ce qui est bon, ce qui est beau, ce qui est juste.
Et donc MÊME s’il ne s’est rien passé de tout ce que l’on a évoqué plus haut, rien que le fait de tenter de construire un projet musical qui te ressemble, c’est déjà faire plus que la grande majorité des gens assis à la table de ton réveillon.
Le décalage comme forme vitale
Il y a, dans chaque famille, un enfant “à part”. Celui qui n’a jamais complètement coché les cases, celui qu’on regardait un peu de biais parce qu’il préférait bricoler des mondes plutôt que suivre les lignes droites qu’on avait tracées pour lui. Tu te reconnais ? Spoiler : cet enfant-là n’était pas en retard, il était en avance. Parce que pendant que les autres apprenaient à coller au réel, lui apprenait, lentement mais sûrement, à coller à lui-même, à sa réalité.
Et dans un monde où le burn-out, les reconversions plus ou moins recommandables et les vies pros en perte de sens explosent, le décalage n’est plus un symptôme, c’est un signe de bonne santé. Il en va de même pour la solitude. Nietzsche disait (joliment en plus) : “C’est de ton but, de ton horizon, de tes pulsions, de tes erreurs et en particulière des idéaux et fantasmes de ton âme que dépend la détermination de ce que doit signifier la santé même pour ton corps. Il existe d’innombrables santés de la chair »
Pour résumer, passer par la vulnérabilité n’est pas forcément synonyme de faiblesse ou de mauvaise santé. C’est en acceptant, en tombant et en se relevant que l’on acquiert, paradoxalement, une plus grande santé.

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La liberté comme horizon
Alors hauts les cœurs ! Il faut se convaincre soi-même avant de convaincre les autres. Et si on sait bien que, parfois, l’enfer c’est les autres (Sartre ne disait pas que des conneries), en réalité, tu n’es pas sous emprise, tu es libre. Il importe seulement de ne pas marcher seul dans tes dérives. Je te souhaite donc une fin d’année sous le signe de la confiance en ce qui t’anime, en ce qui ne demande qu’à éclore, un jour ou l’autre, à force de petits pas et de grandes rencontres.
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