de  Théo Do Campo  |  Temps de lecture: 6 min
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Le biais du producteur·rice

Tu es biaisé·e. Que tu le veuilles ou non, étant producteur·rice, tu es à jamais prisonnier·ère de ton approche technique de la musique. Pire encore, parce qu’il est difficile de se mettre à la place des autres, ou simplement parce que tu manques d’empathie, tu as du mal à envisager une autre vision que la tienne quand il s’agit de ton art. Pourtant, ton écoute est unique, et elle est loin d’être représentative de celle des gens qui vont t’écouter.

Les raisons de ce biais sont extrêmement nombreuses. Tu passes sûrement beaucoup de temps à travailler sur ta musique. Tu la connais par cœur, dans ses moindres détails. Tu y es très impliqué·e émotionnellement, et lorsque tu l’écoutes, elle a toute ton attention. Tu ne l’écoutes pas en regardant une vidéo à côté, ni en bossant, ni en jouant. Pour toi, elle est sacrée. C’est une écoute religieuse, pointilleuse.

Et par ta volonté de progresser, tu accordes parfois la même attention à la musique des autres, que ce soit pour voler honteusement leur technique ou simplement comprendre la manière dont les autres construisent leur art. Ce souci du détail te pousse à rechercher, consciemment ou non, la perfection. Cette quête et cette suranalyse t’amènent à des situations absurdes, comme écouter la même seconde d’une boucle pendant des heures pour trouver le réglage parfait, comme la durée d’une release de reverb ou la fréquence de coupure d’un filtre. Des détails dont tu seras lunique personne à être consciente, voire obsédée, et que tu auras pourtant oubliés un mois après la sortie du morceau.

graphe écoute moyenne des auditeurs

En plus de s’attarder sur des détails, on perd en qualité d’écoute quand on travaille sur du son pendant longtemps. Un biais de plus !

Ton entourage n’est pas représentatif du public

Car si ton entourage a une écoute analytique et minutieuse de ta musique, la plupart de tes auditeurs·rices sont des gens parfaitement normaux. Ils n’écoutent pas ta musique avec un focus digne d’un·e chirurgien·ne opérant un cerveau, mais plutôt avec celui d’un enfant en bas âge. La plupart vont l’écouter dans les transports, en jouant aux jeux vidéo, en soirée, en courant… C’est même possible qu’ils ne remarquent même pas ce morceau dans lequel tu t’es pourtant profondément versé·e émotionnellement et qui représente tant pour toi. Et il ne faut pas leur en vouloir : tu fais sûrement pareil, et je suis en train de le faire en écrivant cet article.

Et même s’ils t’écoutent avec plus d’attention, ils ne font pas ce que tu fais systématiquement : chercher l’imperfection. Ils s’en fichent. Et ils ont bien raison : qui profite d’une œuvre avec une vision purement analytique ? Quand on écoute de la musique, on s’intéresse surtout à l’émotion qu’elle nous transmet, au moment auquel elle nous renvoie, ou au mood dans lequel elle nous met.

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Imagine que tu regardes un film. Une première façon serait de profiter du récit, d’apprendre à connaître les personnages, d’apprécier les images et de comprendre le message qu’il cherche à faire passer. Une deuxième façon serait de s’attarder sur chaque détail, de chercher les faux raccords, de comprendre la place du·de la réalisateur·rice dans chaque plan, et de pointer les incohérences scénaristiques. De ces deux façons, laquelle te paraît la plus saine pour apprécier le film ? Sans oublier que dans la deuxième, tu es obligé·e de regarder le film des dizaines de fois, ce qui est rarement recommandé pour savourer une œuvre.

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Il y a plein de faux raccords dans Le Seigneur des Anneaux. Vous les aviez remarqué ? Moi non. Je ne regarde pas le Seigneur des Anneaux pour trouver des faux raccords.

La réalité de l’auditeur·rice lambda

Replaçons les choses dans leur contexte initial : la musique que tu crées doit certes être qualitative, écoutable. Évidemment, ne prends pas cette recommandation comme une invitation à la négligence, mais tu dois aussi savoir prendre du recul et te projeter dans l’écoute de l’auditeur·rice lambda. Faire preuve de lâcher-prise face au perfectionnisme, face à certains débats propres aux musicien·nes : l’utilisation de presets, de plugins soi-disant “amateurs”, ou encore le choix du DAW.

Car si ces conversations sont légion dans tes cercles, elles ne sont pas du goût de la masse d’auditeurs·rices non initié·es dont tu cherches à conquérir le cœur. Personne ne s’intéresse au fait que tu sois sur Ableton ou FL Studio, personne ne sait que c’est Superior Drummer et pas toi qui joue de la batterie. Et c’est très bien comme ça. Un·e magicien·ne ne dévoile jamais ses tours.

Un exemple qui a fait couler de l’encre depuis le début de ce siècle : la carrière de Daft Punk, soi-disant une imposture parce qu’ils ont utilisé majoritairement des samples. Parmi les 10 % de la population qui comprennent ce qu’est le sampling, il y en a encore moins qui s’en indignent réellement. Le reste s’en fiche royalement et n’a même pas conscience des enjeux. Ce serait ruiner leur plaisir que de leur expliquer que “One More Time”, ce n’est pas vraiment Daft Punk.

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Allez, on se la remet.

Lâcher prise : le vrai super-pouvoir

Ne te laisse pas biaiser bêtement. Prends conscience, une bonne fois pour toutes, que ta musique, c’est avant tout l’émotion et la part de toi que tu y mets. C’est ça qui te fera connecter avec ton audience. Pas ce dB supplémentaire à 400 Hz sur ton piano, pas ce hat un poil trop fort. Ce n’est pas grave si ta retranscription en mono n’est pas optimale. Personne ne t’écoute pour te juger ou te ridiculiser, il n’y a que toi qui fais ça. Et occasionnellement ton entourage, quand tu lui demandes.

Fais-toi plaisir, fais quelque chose qui te ressemble, et lâche prise. Le reste ne t’appartient plus. Comprendre le public et se mettre à sa place, ce n’est pas se renier soi-même : c’est accepter la richesse des interprétations. Chacun·e percevra l’émotion à travers son prisme, ses souvenirs, son vécu.

Et c’est peut-être ça, la magie : créer de la joie à partir de la mélancolie, de l’humanité à travers l’imperfection, perpétuer le cycle de la création en apportant sa pierre à l’édifice, aussi insignifiante soit-elle.

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Si tu veux aller plus loin, dans cette vidéo je parle de la réalité de la confrontation entre musique et audience. J’avais plein de choses à dire dessus !

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