de Mix Jagger | 5,0 / 5,0 | 15 Minutes
Publicité
Entretien : Anthony Ammar - vignette
Publicité

À l’occasion de la sortie de la banque de sons Odes chez Native Instruments, l‘équipe de gearnews.fr a eu le privilège de s’entretenir avec Anthony Ammar, musicien et compositeur pour le cinéma et la télévision, ingénieur du son passionné et passionnant, mais aussi éditeur de banques de sons et d’instruments virtuels avec son entreprise Evolution Series qui regroupe plusieurs collections de très haut vol.

Anthony, merci de nous recevoir. Comment avez vous commencé votre parcours musical ?

Je suis arrivé en Australie pour étudier l’ingénierie du son, car mon rêve a toujours été de devenir compositeur, mais j’étais intimement persuadé que je ne trouverais pas de travail en tant que tel au début de ma carrière. En revanche, je me suis dit que je trouverais probablement une place quelque part si j’étais capable d’enregistrer la musique d’autres personnes.

J’adore la musique, c’est un rêve d’enfance, mais j’aime aussi le son et je suis passionné par le matériel audio, alors je me suis débrouillé pour atterrir à Sydney et débuter des études d’ingénieur du son. À force d’arpenter les studios de la ville, je me suis retrouvé au bons endroits aux bons moments, et j’ai commencé à établir des connexions et des amitiés avec des professionnels locaux puis nous avons commencer à travailler ensemble.

Comment se sont dérouler vos premiers pas en tant que compositeur à l’image ?

Entretien : Anthony Ammar - portrait

Je continuais à composer pendant mon temps libre, et un jour, le producteur du groupe Savage Garden (un duo Pop-Rock australien célèbre des années 90s), qui connaissait mon travail et mon goût pour l’écriture et l’arrangement, m’a aidé à obtenir mes premiers contrats en tant que compositeur. Et tout cela a pris beaucoup de temps, voire des années. Mais petit à petit on m’a confié des bandes son pour des documentaires, pour le compte des chaînes Discovery et National Geographic, je me suis beaucoup amusé à les réaliser et j’en ai profité pour aiguiser mon savoir-faire.

Par la suite, avec ma jeune équipe, nous avons eu la chance de nous voir confier la musique originale de la série télévisée à gros budget Sea Patrol, qui est devenue par la suite l’une des séries les plus regardées en Australie, avant d’être vendue et distribuée dans le monde entier. C’était un vrai challenge pour moi, et j’ai appris énormément de choses en l’accomplissant, même si ça n’a pas été facile tous les jours car c’est un univers bien différent de ceux que je connaissais jusqu’ici.

Après Sea Patrol, les propositions de projets importants se sont succédées naturellement ?

Publicité

Oui, après ce premier succès, tout s’est enchaîné très vite, on nous a confié la composition musicale d’autres séries mais aussi d’émissions télévisées. Puis est arrivée la première saison de Master Chef, une grosse franchise de télé-réalité qui cartonne en Australie et qui a fait le tour du monde également. J’ai composé pour Master Chef pendant plusieurs années et au fil du temps, d’autres séries et films m’ont été confiés. 

Avec le recul, je me demande parfois comment j’ai atterrit sur tous ces projets, et je suis très reconnaissant pour toutes ces opportunités. Mais de fil en aiguille, les évènements s’enchaînent et aujourd’hui je continue d’avancer en pensant que rien n’est jamais acquis, il faut juste reconnaître que parfois les choses sont bien faites, et que la vie vous sourit. En tous cas, toutes ces rencontres étaient géniales et j’ai profité de chaque instant, j’espère bien continuer encore pendant longtemps. Merci à l’Australie !

Comment considérez-vous le rapport entre la musique et l’image ?

C’est une question délicate, chacun possède sa propre perception de ce que doit être le rapport de la musique à l’image. Pour moi, c’est un travail d’équipe, la musique doit travailler de concert avec l’image. À moins, bien entendu, que la volonté du réalisateur ou du producteur soit de suivre précisément une composition musicale, pour cadencer son montage par exemple. Mais dans l’ensemble, je dirais que la musique est là pour soutenir le propos du film.

Cependant j’ai travailler sur un film récemment, les délais étaient très courts, et j’ai commencé à composer alors même que le tournage n’était pas terminé. Je ne pouvais pas utiliser ma méthode habituelle, donc j’ai proposé à l’équipe du film d’écrire une composition en m’inspirant de leurs idées, des émotions, des situations et des scènes qu’ils souhaitaient transmettre. Au final, je leur ai présenté une oeuvre complète construite à partir de ces idées initiales, ils ont apprécié et ont choisi de construire le montage en suivant le rythme et l’ordre de chaque mouvement, de chaque morceau que j’avais écrit. Du coup, je n’ai eu quasiment aucune modification à apporter (rires). 

Donc en fonction du projet, l’image guide la musique, ou l’inverse, n’est-ce pas ?

C’est étrange, mais cette fois-ci, ma musique a fini par guider leur montage et leur manière de raconter cette histoire. Lors de l’avant-première, la bande son était tellement forte que j’ai été surpris, mais l’équipe du film avait délibérément choisi de la mettre en avant à ce point, pour souligner son importance dans la narration.

En résumé, je dirais que ça dépend du projet. Ce qui est certain, c’est que si on retire la musique d’un film, on se retrouve avec une oeuvre incomplète qui peut paraître beaucoup plus lente et moins immersive. Si on prend l’exemple de Master Chef, sans la musique, on perdrait tout le rythme de l’émission et on se retrouverait uniquement avec des bruits de gens qui courent en cuisine. Donc au final, la musique peut remplir différents rôles, et la chose à retenir c’est qu’elle doit remplir le rôle précis qui lui est attribué dans chaque projet. C’est pourquoi en tant que compositeur, mon premier travail est d’écouter attentivement les besoins du réalisateur et du producteur, pour définir exactement ce qu’ils attendent de la musique proposée.

Comment avez-vous commencer Evolution Séries ?

Entretien : Anthony Ammar - studio

Comme vous pouvez l’imaginer, à mes débuts, nous n’avions que très peu de ressources en termes d’instruments virtuels. Et je crois qu’à force de travail, notamment sur des projets à petit budget avec des délais courts, j’ai vite compris que je ne pouvais pas recruter un orchestre symphonique ni même faire venir des dizaines de musiciens talentueux en studio. J’ai donc dû m’en remettre aux banques de sons.

Comme chaque compositeur, pour mes premières commandes, j’utilisais ce que j’avais sous la main. Je faisais beaucoup de collages sonores, un son par ci, un son par là, que je combinais pour obtenir un rendu cohérent et agréable à l’oreille. Mais ces limites me dérangeaient, au bout d’un moment, je me suis rendu à l’évidence et j’ai compris que j’avais besoin de beaucoup plus d’options créatives à ma disposition pour écrire. 

Vous développez une passion pour les cultures musicales traditionnelles ?

Entretien : Anthony Ammar - Ian Watson

J’ai commencé avec une banque de percussions (World Percussion) parce que j’adore ces sonorités, en particulier les percussions venues d’ailleurs. Bien sûr, je suis amoureux de l’orchestre occidental traditionnel, mais j’avais besoin de sons qui sortent de l’ordinaire pour l’accompagner.

J’ai eu la chance de rencontrer un percussionniste de grand talent, Ian Watson, capable de jouer une multitude d’instruments différents. Un rêve devenu réalité. Nous avons réuni une importante collection de percussions et nous avons commencé à enregistrer et à produire cette première banque ensemble avec l’aide d’un ami ingénieur du son pour m’épauler sur l’aspect technique, et me laisser le temps de me concentrer sur l’aspect créatif. Après plusieurs années de travail, le projet a abouti et nous l’avons proposé au public. Après cette première expérience réussie, nous avons enchaîné et commencé à produire d’autres banques, pour Evolution Séries mais aussi pour d’autres marques. Tout s’est fait très naturellement, nous n’avions pas vraiment planifié ce qui s’est passé par la suite, c’est une histoire de rencontres et d’amour pour la musique qui nous a mené jusqu’ici.

De quelle manière est né le partenariat entre Evolution Séries et Native Instruments ?

Entretien : Anthony Ammar - Clinton Shorter

Donc un peu plus tard, un ami à moi travaillait pour Native Instruments, et une année au NAMM, nous avons eu une discussion impromptue avec leurs équipes. Je leur ai montré ce que nous faisions et ils nous ont proposé de travailler avec eux. À l’époque, j’avais déjà commencer à enregistrer dans mon coin avec mon ami compositeur Clinton Shorter (District 9, 2 Guns, Pompéi) sur ce qui allait devenir Lores. Nous avons soufflé l’idée à Native Instruments et ils nous ont demandé de co-produire cette banque de sons, en partenariat. 

Encore une fois, ça nous a pris du temps, mais Clinton était motivé par l’idée de réaliser cette banque et nous avons mené le projet à terme. J’ai la chance de travailler aujourd’hui avec Native Instruments et Arturia, et il faut souligner que ces deux marques sont composées d’équipes passionnées extraordinaires. Vraiment extraordinaires. C’est toujours un plaisir de collaborer avec des professionnels de ce calibre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Odes et sur le matériel d’enregistrement utilisé ?

Entretien : Anthony Ammar - Odes

Nous avons travaillé pendant des mois pour obtenir ce résultat, sélection, enregistrement, mix, édition etc. C’était un gros chantier mais j’apprécie tellement tous les aspects de la production d’une banque comme celle-là, que nous avons adopté une approche très perfectionniste pour arriver à ce résultat. Nous avons réuni une équipe de sound designers très talentueux et très différents, c’était vraiment une expérience incroyable.

Pour nos premiers instruments virtuels, nous avions adopté une interface classique avec des faders etc, mais à partir de la gamme Chronicles, nous avons expérimenté avec des systèmes de mixage plus intuitifs et directs. C’est la raison pour laquelle l’interface principale d’Odes propose de mixer différentes prises microphoniques d’un seul cliquer-tirer en déplaçant une icône sur un pad X/Y. C’est beaucoup plus immédiat et créatif pour l’utilisateur. Avec Native Instruments, nous avions déjà choisi ce type de fonctionnement sur Lores et Fables, avec une présentation graphique différente mais un concept similaire.

J’ai la chance de posséder mon propre studio, que nous avons utilisé pour enregistrer chaque instrument individuel. Pour certains banques précédentes, nous avions aussi utilisé les locaux des studios 301 ici à Sydney, qui ont malheureusement fermés depuis. Il faut reconnaître que c’est très difficile aujourd’hui de se maintenir à flot, sur le plan économique, pour ces très gros studios. Aujourd’hui, pour les ensembles plus importants, nous enregistrons dans un studio de capacité similaire qui se trouve à Melbourne.

Quels sont vos micros, préamplis et convertisseurs favoris ?

Entretien : Anthony Ammar - Enregistrement

Je suis un fan de micros, j’apprécie particulièrement les modèles Neumann vintage. Pour créer une banque de qualité, nous avons d’abord besoin d’un excellent musicien, d’un instrument qui a de la personnalité, mais aussi d’outils de captation de haut vol. Une fois que la source est bien en place, c’est là que le plaisir commence : Neumann U47, KM84, KM54, M49 etc. C’est vraiment ma marque de micros favorite, j’en ai beaucoup (rires). J’essaie de garder le trajet de signal le plus simple possible, je ne compresse pas à la prise par exemple. Et puis quand le matériel choisi est le bon, et que le signal capté s’avère très satisfaisant, le travail de mix devient beaucoup plus simple.

En termes de préamplis, j’ai beaucoup utiliser les modèles API quand j’ai commencé, aujourd’hui j’utilise principalement les préamplis fabriqués par Mercury (modèle 72s) et Chandler Limited (modèle TG2). Pour moi, les préamplis Chandler réunissent les qualités des modèles Neve et API, il peuvent à la fois être très transparents tout en apportant une coloration et beaucoup d’attitude à un enregistrement si on le souhaite. Cependant, ces derniers temps, mon choix se porte souvent sur le modèle Mercury, certes il reste clair mais propose un son réconfortant et agréable qui met bien en valeur la source. Je dirais donc que j’apprécie les préamplis transparents mais certainement pas stériles.

Pour les convertisseurs, j’ai tout essayé au fil du temps, mais au risque de choquer quelques lecteurs, j’utilise les convertisseurs Avid. Ils sonnent bien à mes oreilles, leur son est ouvert, aéré et très plaisant. Je préfère me concentrer sur les préamplis et les micros qui, selon moi, influencent beaucoup plus la couleur d’un enregistrement que les convertisseurs eux-mêmes. Je pense qu’au final, la différence entre tel ou tel convertisseur est assez ténue. Comme le dit l’adage : si ça sonne bien, c’est bien !

Plus que des samples, ce sont de véritables témoignages culturels que vous capturez ?

Exactement, quand j’étais plus jeune et que je regardais des films étrangers, j’étais passionné par les sons venus d’ailleurs que j’entendais. Je me demandais toujours quelles étaient ces sonorités que je ne connaissais pas. J’avais besoin d’apprendre et de comprendre, alors j’ai commencé à explorer au-delà des instruments classiques. Ensuite, j’ai rencontré des musiciennes et musiciens qui pratiquaient des instruments venues de contrées lointaines, tout au long de mon parcours, et je les ai enregistré petit à petit. 

Je me suis toujours fait un devoir de capturer ces sons avec le plus grand respect qui soit. Un respect pour la performance et l’artiste, mais aussi un profond respect pour les cultures dont ces instruments émanent. Pour ce faire, j’ai toujours voulu produire des enregistrements avec la plus haute qualité sonore possible, et avec la même attention au détail que nous déployons pour la captation d’un orchestre occidental classique.  En plus, à travers Evolution Séries, nous mettons ces instruments extraordinaires et souvent inaccessibles entre les mains des compositeurs·rices du monde entier. Ils peuvent ouvrir Kontakt et se transporter dans un nouveau monde de sonorités, composé de témoignages instrumentaux venus du bout du monde.

Quels conseils donneriez vous aux jeunes compositeurs face aux mutations d’aujourd’hui ?

Trouves un vrai travail (rires). Non, sérieusement je trouve que le monde d’aujourd’hui fait peur. Particulièrement quand vous êtes un·e jeune musicien·ne, qui a passé des années et des années à pratiquer son instrument, à comprendre et à apprendre la musique, à écrire et à composer. Pour que tout à coup, l’IA arrive et vous dise : tu sais quoi, en 10 secondes, tu écris un prompt et tu auras une musique toute prête, en plus elle sera plutôt sympa. Peut-être pas excellente, mais pas mal du tout…

Et bien évidemment, beaucoup de gens utiliseront l’IA pour ça, en particulier des réalisateurs de films. Mais d’après moi, l’histoire n’est pas finie, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, nous sommes des êtres créatifs, nous avons besoin de créer et il y aura toujours des gens qui voudront faire de la musique avec d’autres gens, ensemble. Après tout, tout le monde n’a pas envie de s’asseoir et de taper un prompt sur un clavier, où est le plaisir la dedans ? Il n’y en a pas. Il n’y a rien de mieux que de communiquer avec les autres par la musique et de travailler ensemble sur des projets, c’est la nature humaine. Tout le monde ne choisira pas le chemin proposé par l’IA, celui de la facilité et de l’immédiateté à outrance. De plus, l’IA n’apporte aucune expérience de jeu, ou du moins pas en temps réel…

En tous cas, c’est ce que je choisis de croire. Ainsi, je dirais aux jeunes créatifs d’aujourd’hui : ne perdez pas espoir, même si c’est un monde effrayant, continuez à écrire et à créer. Dans l’histoire, de nombreux outils ont changé l’ordre des choses, surtout dans la musique : les synthétiseurs, les banques de sons, l’IA etc. Mais au final, aujourd’hui on observe un grand retour des orchestres vivants enregistrés, tout fonctionne ensemble et chaque outil apporte sa pierre à l’édifice. Nous sommes tous dans le même bateau, alors continuez à créer, rencontrez d’autres créateurs·rices, tout est une affaire de rencontres. Rencontrez des gens sans rien attendre en retour, profitez de chaque instant, et laisser les choses se faire naturellement. Continuez à créer.

Sans dévoiler tous vos secrets, quels ont les prochains projets chez Evolution Series ?

Sans vouloir trop en dire, nous préparons de nouvelles choses pour la série de banques de sons Chronicles. C’est un grand chantier là aussi, mais nous y travaillons pour proposer toujours plus d’instruments de qualité aux musiciennes et musiciens d’aujourd’hui.

Merci Anthony, l’équipe de gearnews.fr vous souhaite le plus beau des succès !

Pour plus d’informations concernant Odes, nous t’invitons à lire ou à relire notre test complet

La suite au prochain épisode !

Comment trouvez-vous cet article ?

Évaluation: Votre: | ø:
Publicité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *