Comment le MPE et Osmose ont réinventé ma manière de jouer du piano
Jouer vite et fort, c'est cool... mais jouer avec des nuances et des émotions, c'est exceptionnel!
Non, je ne vais pas pondre un énième article sur les bénéfices du MPE. D’autres l’ont déjà mieux fait que moi. Je te propose ici de réfléchir à l’intérêt qu’a la technologie pour faire de toi un·e meilleur·e musicien·ne et mieux pratiquer ton instrument: mieux nuancer tes mélodies, ta dynamique, mieux comprendre le vibrato… les implications musicales sont infinies et ne parleront pas qu’aux nerds.
Contenu
C’est quoi, le MPE? (rapide rappel)
Si tu as déjà entendu parler du MIDI Polyphonic Expression (MPE) sans trop savoir ce que c’est, tu n’es pas seul·e. En résumé, c’est une extension du protocole MIDI qui permet de contrôler plusieurs paramètres expressifs — comme la hauteur (pitch), le timbre, le volume ou la modulation — indépendamment pour chaque note.
Sur un clavier classique, quand tu bouges la molette de pitch bend, tout ton accord va monter en hauteur d’un bloc. Pas de nuance ou de différence entre chaque note. Avec le MPE, chaque doigt devient une petite entité expressive indépendante : tu peux faire glisser une note pendant qu’une autre reste stable, ou appuyer plus fort sur une seule touche pour ouvrir un filtre, sans que les autres bougent.
Voici quelques ressources qui pourraient t’aider à mieux comprendre cette technologie.
- La page officielle du standard MPE sur le site de la MIDI Association
- La démo vidéo de ROLI Seaboard + MPE
- Une explication simplifiée du MPE par Onesto
Vois le MPE comme un gros upgrade de ton clavier (MIDI) qui le transformerait en instrument acoustique, avec toutes ses micro-nuances, ses respirations et ses accidents heureux (happy accidents en anglais, ça sonne mieux qu’en français). Et les implications sont aussi nombreuses qu’excitantes pour les instrumentistes et non-instrumentistes… car tout peut être réglé et automaté dans l’éditeur MIDI de ton DAW, si celui-ci est compatible MPE. Même si à mon avis, ce serait passer à côté du côté fun et ludique du MPE…

Une technologie autant faite pour les débutants que les génies du piano
Attends, attends… comment un clavier avec plus de possibilités (bends, aftertouch polyphonique, gestes de pression) peut-il être plus intuitif à prendre en main par un·e non pianiste qu’un clavier traditionnel?
Dans les faits, c’est assez simple: sur un piano tu ne peux que presser la note plus ou moins rapidement ou plus ou moins fort. Tu vas donc vite dépendre de ta technique et de tes connaissances harmoniques pour faire sonner des passages bien, car dans les faits… tu ne peux utiliser que « peu » d’articulations pour chaque note. Sur un clavier MPE, tu peux rester 10 minutes sur la même note sans savoir laquelle c’est et t’amuser, car l’infinité de gestes te permet de modeler la note à ta guise sans connaissance préalable: tu peux frapper, presser, osciller, tordre,…
Evidemment ces gestes prennent des années à affiner, mais dans les faits… on les comprend en quelques secondes.
Voici une petite anecdote qui semble confirmer ce que je dis. En octobre 2022, lorsque je travaillais pour Expressive E avant le lancement de l’Osmose, les investisseurs de l’entreprise sont venus pour une démonstration du clavier dans les locaux marseillais de la boîte. Ils étaient accompagnés de leur famille et donc de leurs enfants.
Il s’est alors produit quelque chose que j’avais rarement vu: intrigués par ma démonstration, les jeunes enfants sont venus s’amuser spontanément avec l’Osmose pour « sculpter le son » comme de la patte à modeler. Évidemment, le résultat sonore était atroce… mais voir des enfants venir s’amuser comme ça avec « un jouet » est très bon signe: l’Osmose et les claviers sensitifs ne font pas peur, ils n’intimident pas comme pourraient le faire d’autres instruments moins ludiques de prime abord. L’aspect tactile de l’experience fait que n’importe qui peut s’amuser dès la première note grâce aux gestes.
Ma relation au MPE
Avant de plonger dans le MPE, je jouais du piano comme beaucoup : sur un piano droit ou un clavier MIDI 88 touches, bien droit, bien linéaire (mais quand même très expressif, attention… j’adore le piano!).
Au fil du temps, je m’étais un peu enfermé dans une vision technique de l’instrument: comment jouer plus vite, comment avoir plus d’indépendance entre les 2 mains, comment apprendre tel ou tel solo de jazz. Mais quid de l’émotion, de la dynamique et tout ce qui fait le sel de la musique et des émotions que ressentent nos audiences lorsqu’elles nous écoutent jouer?
Un peu par hasard en 2016, j’ai découvert les instruments MPE. Comme tout le monde, j’ai été hypé par les démos virtuoses des frères Parisi du ROLI Seaboard Rise, ce clavier en silicone souple où chaque touche peut être glissée, pressée, tordue. C’était plutôt déroutant et grisant de voir un « clavier » sonner comme une guitare avec autant de nuances! Mais étant étudiant, je n’avais malheureusement pas les fonds pour cette chouette machine.
La vraie révélation est venue avec l’Osmose d’Expressive E en 2019, lorsque furent lancées les pré-commandes de la machine. L’Osmose était un ovni en 2019: un clavier qui ressemble et se joue comme un piano, mais qui réagit à la pression, à la direction et à la profondeur de chaque touche. Tu peux vibrer, glisser, respirer à travers tes doigts. Pas besoin d’apprendre une interface nouvelle ou molle : tes réflexes pianistiques marchent, mais le clavier te répond comme un instrument vivant.
Ça semblait être la machine parfaite car presqu’aussi expressive qu’un Seaboard ou un Continuum (le clavier indétrônable du MPE, cet instrument est un concentré d’émotions), et ce à un prix « raisonnable » de 1799€ (et même moins à l’époque lors des précommandes). Autant dire que j’ai pré-commandé dès mon 1er salaire tombé.
Avance rapide à septembre 2022, où après 3 ans de retard interminable sur les pré-commandes, je suis ironiquement embauché au service marketing d’Expressive E. On me rembourse ma pré-commande et on me donne un prototype (qui trône encore fièrement dans mon studio aujourd’hui). Je peux donc enfin jouer l’Osmose en avant-première.
J’ai passé les premières heures (puis mois, c’est addictif) à juste jouer des accords et des mélodies connues avant de les tordre dans tous les sens avec le clavier de l’Osmose. Je redécouvrais la notion de dynamique et de nuances, l’harmonie devenait presque secondaire. En tant que chanteur, c’était comme si mon piano me répondait enfin comme une autre voix. Ce que j’aimais, c’est que chaque nuance, chaque micro-dynamique devenait un choix expressif. Pas juste piano, mezzo forte ou fortissimo, mais bien un panel dynamique bien plus large et satisfaisant. Osmose, le premier synthé assez expressif pour jouer du classique?
Rapidement, et malgré la qualité très, très inégale des sons d’usine de l’Osmose, le synthé s’est retrouvé sur toutes mes chansons studios. Sa capacité à donner vie à des instrumentations modernes est bluffante. Pour le live, la bête n’était pas encore assez ergonomique et stable, mais cela va se sûrement raffiner avec le temps! Je l’espère vraiment, car le potentiel pour faire des textures vivantes ou des leads enflammés pour le live est énorme. Mais pour l’instant, je la joue safe et je le garde dans un environnement maîtrisé de studio.
Comment le MPE a transfiguré ma manière de jouer et de composer
1. Chaque note a sa propre voix
Avant, une note, c’était juste une note. Une hauteur donnée, une intensité et à la limite une articulation. Maintenant, c’est une voix indépendante avec une infinité d’informations et de paramètres ajustés en temps réel. Quand je joue un accord, je peux faire glisser la note du haut d’un quart de ton, maintenir celle du milieu stable, et relâcher doucement la basse pour la faire “fondre”. C’est un peu comme diriger un petit ensemble de cordes… avec tes doigts.
D’ailleurs je dis « accords », mais j’ai jamais joué aussi peu d’accords qu’avec l’Osmose. En effet, chaque voix devient extrêmement riche en nuances… on a donc envie de la contrôler pleinement et de la faire vivre à son plein potentiel. Je me suis donc pris au jeu de jouer plus de pistes monophoniques avec l’Osmose, au lieu de mes traditionnels gros accords de 7e ou de clusters jazz. En résultait des arrangements plus aérés, plus intentionnels et plus intéressants. Le clavier m’a donc poussé à virer l’ego (« ouais, t’as vu je connais plein d’accords exotiques ») et à me concentrer sur ce que chaque partie de jeu avait à raconter.
Exemple concret :
- Sur une touche MPE de l’Osmose, je laisse un doigt vibrer pendant que les autres restent calmes. J’ouvre un filtre progressivement avec l’aftertouch.
- Sur mon piano ou clavier MIDI traditionnel, je ne peux pas faire tout ça… mais je sais que je prendrai plus le temps d’explorer la course et l’aftertouch de mon piano/clavier. Je jouerai plus progressivement grâce à ce que j’ai appris sur l’Osmose.
Et pour la composition, ça change tout : je ne pense plus “accords”, je pense textures vivantes, mélodies et contre-mélodies. Je compose comme si je sculptais du son : un geste par note, une émotion et une dynamique par note. Quand je retourne au piano, la différente est bluffante: je cherche moins à impressionner et plus à susciter de l’émotion.
2. La dynamique devient physique
Le MPE m’a réconcilié avec la composition en musique électronique. Quand tu joues du piano acoustique, il y a une correspondance directe entre ton geste et le son. En MIDI classique, cette relation se perd. Avec le MPE, elle revient : la profondeur, la pression, le relâchement, tout compte. Il n’y a plus cette distance froide avec un synthé qui sonne super bien mais qui au final est un peu plat niveau émotion car les moyens de le contrôler sont un peu limités.
Je ne programme plus mes modulations de synthés : je les joue. Et ça change radicalement ma manière d’enregistrer. J’improvise plus, je ressens plus. J’ai aussi arrêté de quantifier systématiquement mes prises : un léger décalage ou une variation de pression devient expressif, pas une “erreur” (enfin pas toujours, mais tu me comprends!).
Bien évidemment, une grosse barrière pour l’Osmose en musique électronique est la qualité de ses sons internes. On est encore très loin des sons d’un MiniFreak, d’un Moog ou d’un Oberheim. Les sons sont trop fins, sonnent un peu irréels et on se retrouve souvent à faire beaucoup de layering pour faire sonner les choses. Mais si on s’accroche, le résultat en vaut la chandelle. Et l’Osmose brille vraiment en contrôleur MIDI-MPE: contrôler l’immense The Legend HZ et ses timbres massifs est par exemple un plaisir.
On est curieux de voir ce que donnera le clavier de l’Osmose appliqué à des sons plus polyvalents, musicaux et phat.
3. Les synthés et plugins prennent une autre dimension
Le MPE, c’est pas qu’une question de clavier — c’est aussi un écosystème de synthés compatibles.
Des instruments comme Equator2 (ROLI), Pigments (Arturia), Vital, Bitwig, Surge XT ou SWAM Instruments exploitent pleinement ces dimensions.
Tu peux mapper la pression (Z-axis), le glissement latéral (Y-axis), et le mouvement avant/arrière (X-axis) à n’importe quel paramètre : cutoff, vibrato, pitch, résonance, etc. Et d’un coup, ton jeu devient bien plus riche et organique.
Le son ne “bouge” plus uniquement parce que tu tournes un knob — il réagit à ce que tu fais. En tant qu’instrumentiste, j’apprécie beaucoup cela car on peut retrouver la richesse du sound design électronique sans le côté rigide du résultat sonore final. Le meilleur des deux mondes, vraiment!
4. Le piano n’est plus un piano
En retournant au piano après mon apprentissage du MPE, j’ai découvert un paradoxe assez rigolo : depuis que je joue sur un clavier MPE, je joue moins de “piano”, et je me focalise plus sur jouer « de la musique ». L’Osmose m’a fait explorer des sons différemment: je prenais le temps d’explorer chaque preset et de m’arrêter dessus comme si c’était un instrument acoustique à explorer en profondeur. J’ai pris beaucoup de plaisir à tester chaque articulation, à détourner l’usage d’un preset (transformer un SFX en lead) ou autre… Et j’ai gardé cette approche pour les instruments non-MPE.
Avec le MPE, arrive souvent à des résultats ambigus franchement rafraîchissants: un pad qui respire comme un chœur, une basse qui glisse comme un violoncelle, un lead qui tremble comme une voix. J’essaie vraiment de moins penser « technique », de moins « impressionner » et de plus « toucher » l’auditeur·rice.
Evidemment, je continuerai à travailler des gammes jazz bizarres au métronome à des tempos rapides… mais ce n’est plus le but final!
Grâce à l’Osmose et au MPE, je me suis mis·e à écrire autrement au piano:
- Moins de verticalité (accords, blocs)
- Plus d’horizontalité (lignes, dialogues entre doigts)
- Plus d’espaces et de silence
C’est un peu comme si le MPE avait effacé, pour moi, la frontière entre pianiste et instrumentiste électronique. Je ne “pilote” plus un synthé ou un piano : je le joue en faisant un avec lui.
Bon allez, je m’arrête ici. J’espère que tu as compris là où je voulais en venir, derrière tout cette philosophie et cette métaphysique pleine d’émotions.
Conclusion: joue pour l’émotion, pas la technique.
Le MPE et l’Osmose m’ont fait redécouvrir ce que c’est que jouer d’un instrument à touches pour aller au-delà du « déclenchement du son”, « bien jouer » ou « tourner des potards. » Il a ramené de la chair dans l’électronique, du geste et de la vie dans le numérique.
Et surtout, cette technologie m’a rappelé que la musique, n’est pas qu’une suite de notes ou un empilement de sound design — c’est une énergie physique (lorsque le doigt joue le clavier) qui se transforme en émotion.
Si tu as l’occasion de tester un clavier MPE, même si c’est juste en magasin ou chez un·e pote, fais-le. Tu verras : après quelques minutes, tes doigts et ta manière de penser les notes auront changé (même si évidemment, il faudrait toute une vie pour véritablement maîtriser le MPE).
En revenant à ton piano, peut-être que, toi aussi, tu ne joueras plus jamais “du piano”, mais avec ton piano. Pour terminer, je dirais que le MPE est une technologie révolutionnaire avec un potentiel fou pour devenir universelle – si les constructeurs se mettent d’accord sur des standards communs et proposent une ergonomie et des sons dignes des synthés du XXIe siècle que nous aimons tant. Nous y reviendrons dans un prochain article!
Plus d’articles sur les pianos:
